miss-E
Messages : 35 Date d'inscription : 25/05/2015
| Sujet: Futaie carcérale Lun 25 Mai - 17:01 | |
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Futaie carcérale
Je n'avais jamais rien éprouvé de tel. Ce sentiment archaïque d'être à la merci d'un être vivant, de ne pas pouvoir le dominer, le contrôler, le contraindre à la fuite ou, en dernier recours, le tuer. Cette sensation ancestrale qui faisait vibrer en moi les instincts les plus primitifs. Des instincts qui m'intimaient de fuir, de déplacer cette immense masse passive et de courir, de partir loin, d’échapper à la douleur abominable dont ce lierre était l'origine. Il s'accrochait à moi, aspirait le peu d'énergie presque insuffisant à ma survie que le robot huissier me laissait. Il m'étranglait, m'empêchait de respirer jusqu'à ce que sans doute il me prive de mon dernier souffle. Mais je ne pouvais partir, ni même avancer de quelques centimètres. Et pour cause ! J’étais sondé au sol par ces fichues racines, ce tronc n'avait aucun muscle et ces branches encombrantes s'entremêlaient à chaque coup de vent. Le corps qui emprisonnait mon esprit était tellement éloigné de tout ce que j'avais connu, tellement contraire à une mentalité humaine qui fonctionne selon les émotions et l'instinct, non selon les saisons, que mes premières sensations dans cet être m'avaient bouleversé. Je n'étais même plus parvenu à saisir qui j'étais, à me souvenir de ma véritable nature. Cette expérience m'avait au premier abord paru impressionnante, mais était pourtant rapidement devenue terriblement monotone. Le fait de se retrouver avec un esprit humain déterminé par des émotions qui cohabitait avec un corps régit par les saisons, ne possédant pas la même notion du temps et mettant des jours pour procéder au moindre changement était en effet insupportable. Mais là, il s'agissait d'autre chose, le froid envahissait mon esprit et je retombai dans mes souvenirs. J'avais fait une erreur, une seule, pour me retrouver dans cette épouvantable posture. Celle de ne pas avoir suffisamment évalué la situation avant de me lancer dans ce traquenard, ne pas m'être demandé la motivation de Léo. Mais stupidement, il a fallu que je lui fasse confiance, aveuglement confiance, que je l'écoute et lui obéisse jusqu'à ce qu'il me trahisse. Il avait bien calculé son coup en me faisant prendre tous les risques. Il n'avait laissé aucune trace mais c'était lui qui avait emporté le magot. Sans scrupules, il n'avait même pas daigné me laisser l'énergie nécessaire à ma téléportation. J'étais resté bloqué et ils m'avaient pris comme un débutant. Un interminable jugement avait suivi. Je me souvenais de chaque détail, chaque parole était inscrite dans ma mémoire. Après un long et ennuyeux débat, le juge s'était levé et avait prononcé la sentence. J'allais être planté et condamné à 20 ans de production forcée. Cela n’avait rien d’étonnant. Maintenant que le système de plantation pour remboursement de l'État avait été mis en place, plus de prisons bondées, plus d'employés chargés de les surveiller et de les entretenir, plus d'évasions. En effet aucune technologie ne permettait de reprendre forme humaine. Si bien que les juges étaient encouragés à planter n'importe qui, soupçonné du moindre délit, pour renflouer les caisses de l'État. De plus cette solution étant jugée écologique, personne ne la contestait. Le fait que les plantés ne puisse retrouver forme humaine et qu’ils soient condamnés à terminer leur existence dans cet état végétatif ne semblait déranger personne. Ce n'était pas la première fois que les exigences économiques l’emportaient sur les idées morales. Il avait par exemple existé une époque où les hommes fermaient les yeux sur l'esclavagisme pour le développement du commerce et l'enrichissement des notables. A une autre époque, les pays riches qui souhaitaient continuer de développer leur économie se servaient de main d'œuvre acceptant de faire n'importe quel travail éreintant et mal payé pour survivre. Cette fois encore on ne se rendrait compte que trop tard du caractère injuste et honteux de la situation. A l'audition du verdict, tous mes espoirs avaient disparu d'un coup, en une seule phrase. J'avais agi comme un idiot et j'allais en subir les conséquences. J'étais sorti de la salle rapidement, automatiquement, sans imaginer ce qui m'attendait de peur de gâcher le peu de temps qu'il me restait. Me concentrant sur le trajet pour ne penser à rien d'autre. Je m'étais ainsi dirigé vers la station de téléportation : une fois planté mes économies d'énergie me seraient inutiles et je n'avais ni femme ni enfants à qui les léguer, je pouvais donc dépenser sans compter pendant ma dernière semaine de liberté. Sur le chemin, j'étais passé devant une pizzeria, l'odeur appétissante m'avait rappelé que je n'avais rien avalé depuis la veille. J'étais entré dans la petite boutique et avais acheté une margarita pour seulement quelques Wattheurs. L’énergie était depuis longtemps devenue l’unité monétaire mondiale. C’était en effet la denrée la plus rare et précieuse qui puisse être. Elle devenait en outre de plus en plus difficile à produire, toutes les réserves d’énergies fossiles telles que le pétrole ou le gaz ayant été épuisées et l’usage de l’énergie nucléaire, cause de gigantesques catastrophes, exclu. La seule méthode performante à l’échelle mondiale consistait à utiliser la photosynthèse, bien plus efficace que les autres moyens inventés depuis la nuit des temps par l'homme pour transformer l'énergie naturellement présente sur Terre en énergie exploitable. Seul problème : il n'était pas envisageable de contraindre des plantes innocentes à céder une part de l'énergie qu'elles produisaient ; nous n'étions plus à la préhistoire et faire souffrir des êtres vivants pour notre confort personnel était une pratique révolue depuis bien longtemps. Il avait donc fallut attendre un peu pour qu'émerge progressivement l'idée d'utiliser les criminels plantés, et de leur prendre, durant le temps de leur peine, la grande majorité de l'énergie qu'ils produisaient. Après une dizaine de minutes de marche j'avais atteint la cabine de téléportation. Peu habitué à utiliser ce mode de déplacement coûteux, il m'avait fallu beaucoup de temps pour définir ma destination. J'étais entré dans la cabine et, quelques secondes plus tard je m'étais retrouvé devant ma porte, à plus de 30 kilomètres du tribunal, évitant ainsi le train de banlieue bondé et malodorant. J'avais rapidement gravi la volée de marche menant chez moi, au deuxième étage. Au moment d'introduire ma clé dans la serrure, une légère fissure m'avait averti que la porte avait été forcée. C'était un travail de professionnel et seul un œil rompu à l’entraînement comme le mien pouvait le remarquer. Prenant garde à ne plus produire le moindre bruit, j'avais alors remis mes clés dans ma poche et j'avais monté les marches le plus silencieusement possible. Arrivé en haut, j'avais ouvert une lucarne et m'étais hissé sur le toit. Je m'étais lentement dirigé vers la gouttière qui descendait le long du mur jusqu'à ma fenêtre. Il m'était déjà arrivé d'effectuer cette petite gymnastique après avoir égaré mes clés, je savais donc exactement comment descendre sans provoquer de craquement suspect. Parvenu à la hauteur de la fenêtre de mon salon j'avais jeté un coup d'œil furtif à l'intérieur et avais aperçu Joachim tranquillement installé dans le seul fauteuil correct de la pièce. J'étais entré par la fenêtre entrebâillée sans prendre aucune autre précaution : Joachim restait une des seules personnes sur terre en qui je pouvais encore avoir confiance. -Tiens, les chats de gouttière ont une drôle d'allure de nos jours. -Je t'en prie prends un siège et surtout profite bien de la vie. Tu veux peut-être aussi que je t'apporte un café ! -Hou là là, y a pas intérêt à rigoler par ici, j'ai loupé quelque chose ? -C'est fini pour moi, je m'suis fait prendre j'vais être planté. -Merde ! Y a des preuves ? -Oui et pas qu'un peu. Léo m'a lâché. Y m'ont chopé la main dans l'sac. -La poisse. J't'avais dit qu'on pouvait pas lui faire confiance à c'type. Il est clean juridiquement et y s'rait capable de tuer père et mère pour le rester. -Je sais, t'avais raison. Mais ses combines rapportaient gros. -Ça s'est passé comment ? -À peu près comme d'hab. Il avait des complices dans la place, qui ont désactivé le système de sécurité. Je m'suis téléporté. j'ai transféré toute l'énergie dans sa méga batterie. Mais là y s'est pas ramené comme c'était décidé, y s'est contenter de téléporter la batterie, je sais pas du tout comment il a fait, mais ça a déclenché l'alarme et moi j'étais bloqué sans énergie. J'aurais jamais imaginé qu'il me ferait un tour aussi salaud. Et comme j'ai plus qu'une semaine, j'pourrai certainement pas réunir les preuves pour le faire tomber. -moi j’pense que tu peux y arriver. Mais c’est sûrement pas en te tournant les pousses que ça avancera. T’a pas une idée de c’qu’y compte faire comme combine maintenant ? On pourrait p’t’être le prendre en flagrant délit. -J’pense savoir où il va ce soir. On devrait faire une dénonciation anonyme, j’ai pas envie d’avoir Léo sur le dos plus tard. Le lierre resserra son étreinte me ramenant à la situation présente. J’étais de nouveau assailli par la douleur. La panique reprenait le contrôle de mon esprit. Je n’avais qu’une question : pourquoi tant d’acharnement de la part de cette être, pourquoi tant de cruauté inutile ? C’est alors que la vérité m’apparut aussi simple et logique qu'elle est toujours. C’était lui ! Personne n'avait deviné pourquoi Léo avait choisi de devenir lierre au moment de sa plantation. Mais maintenant, tout était clair : il n’avait pensé qu’à sa vengeance. Je sentis mes forces m’abandonner, mon esprit se brouilla et je sombrai dans l'inconscience. Un intense flux d’énergie me ramena à la vie. Le robot huissier, ne récoltant plus suffisamment d’énergie de mon organisme avait alerté les robots de surveillance qui, arrachant Léo de mon tronc, m’avaient sauvé d’une mort certaine. Je retrouvais peu à peu mes esprit, reprenais conscience de mon corps. Le chêne que j'habitais reprenait ses droits, et m'imposait de nouveau l'imperturbable sérénité qui est sa nature même. Les premiers instants de soulagement passé, je retrouvais le poids de la monotonie qui serait mon lot quotidien pendant les 19 prochaines années. En effet, je ne disposais pas de suffisamment d’énergie pour me préoccuper d'autre chose que de ma survie. Je ne pouvais donc réaliser aucun projet comme participer au championnats végétaux comprenant, le lancé de fruits, le combat à arme branche et bien d'autres épreuves. Il aurait suffi que je possède ne serais-ce qu'une infime partie de l'énergie volée avec Léo pour que mon insupportable existence étriquée se transforme en une vie relativement normale dans laquelle, il me semble, je pourrais m'épanouir. Un bruit suspect m'alerta de la présence d'un inconnu, et je vis Joachim approcher. Il portait une lourde et encombrante batterie noire qui alluma en moi la lueur d'un puissant espoir...
Dernière édition par miss-E le Ven 26 Oct - 10:14, édité 3 fois | |
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Ailuj
Messages : 1 Date d'inscription : 27/05/2015
| Sujet: Re: Futaie carcérale Mer 27 Mai - 19:16 | |
| Je ne suis pas encore habituée au fonctionnement du forum, mais je me lance quand même [sourire] : Ce texte m'a beaucoup manqué, Elisa. Je ne l'avais jamais vraiment lu avec attention, parce que je savais il était né de beaucoup de travail d'écriture et de réécriture, et qu'il était bien meilleur que ma nouvelle. Jalouse, mes yeux l'avaient parcouru comme ils se posent sur les vieux collages de ma chambre : d'un regard vide. Et pourtant, jusqu'à peu, j'y repensais en m'endormant : que ce passait-il déjà dans cette histoire ? Je regrettais ma jalousie qui laissait cette question sans réponse, et je suis contente aujourd'hui de pouvoir y répondre. Je ne me souvenais pas que ta nouvelle était si complexe. Je la trouve vraiment superbe ! Petit bémol : l'écriture italique gris clair ne facilite pas la lecture, le titre Futaie carcérale était mieux, d'après moi bien sûr ! Et les fameux guillemets de Mme Di Nallo, je ne les trouve pas bien placés... Sinon, rien d'autre à dire que j'ADORE ! | |
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lou Admin
Messages : 165 Date d'inscription : 03/06/2013
| Sujet: Re: Futaie carcérale Jeu 28 Mai - 16:58 | |
| Oh moi je l aimais bien. Mme Di Nallo enfin bref xD Julia presente toi dans la rubrique presentation (pourquoi?personne ne lis jamais les regles du forum grumblgrumbl) pour l ecriture aussi il y a un code a respecter) | |
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miss-E
Messages : 35 Date d'inscription : 25/05/2015
| Sujet: Re: Futaie carcérale Sam 30 Mai - 0:00 | |
| Merci beaucoup, c'est super gentil Julia!! Et je suis assez d'accord avec toi pour les modifs du coup je les aient changées^^ Est-ce que c'est plus lisible comme ça? | |
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lou Admin
Messages : 165 Date d'inscription : 03/06/2013
| Sujet: Re: Futaie carcérale Sam 30 Mai - 23:47 | |
| Merci de lire le reglement Sinon elle est cool enfin ce que j ai eu le temps de lire parce que je l ai montree apleim?de gens mais qui lisent plus vite que moi du couo je connais le debut apar coeur allez fais une suite si tu veux | |
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miss-E
Messages : 35 Date d'inscription : 25/05/2015
| Sujet: Re: Futaie carcérale Dim 31 Mai - 16:28 | |
| Bah pour la suite, à part décrire sa passionnante vie en tant qu'arbre je vois pas trop.. | |
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lou Admin
Messages : 165 Date d'inscription : 03/06/2013
| Sujet: Re: Futaie carcérale Mar 2 Juin - 16:29 | |
| Pas grave fais le !!!
Je poste notre co ecriture dans pas longtemps | |
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lou Admin
Messages : 165 Date d'inscription : 03/06/2013
| Sujet: Re: Futaie carcérale Ven 9 Mar - 22:25 | |
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| Sujet: Re: Futaie carcérale | |
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