almi
Messages : 13 Date d'inscription : 18/11/2015
| Sujet: Lecture Analytique Céline Voyage au bout de la nuit - LA 2 :" la fuite de l'Afrique" Mer 4 Mai - 12:03 | |
| En quoi le regard d'un anti-héros permet-il une satire originale du colonialisme?- I. Bardamu, l'anti-héros par excellence:
- 1/ l'irresponsabilité / la mauvaise foi:
- Pour éviter d'avouer sa paresse, le narrateur reporte la faute sur d'autre facteurs : "Sans fièvre, je me serais peut-être mis à apprendre leur langue" et "le temps me manqua". Le conditionnel "serais" ainsi que "peut-être" indiquent une possibilité qui ne es réalisera pas. - De même, les scrupules liés à sa conscience (qu'il appelle "la terreur des comptes irréguliers") il les voit comme un fardeau, et en rend responsable son éducation. Il es plaint d'avoir été endoctriné, comme le montre la phrase "apprises trop petit (...) viennent vous terrifier sans recours". - Enfin, le détournement d'un proverbe maternel ("le feu purifie tout") pour servir ses intérêts propres, est la preuve de son inconséquence. Bardamu se décharge de toute responsabilité quant au fait de brûler la case et les comptes que lui a confiés la Compagnie Pordurière.
- 2/ un personnage incapable de se faire respecter:
- Les termes mélioratifs "complète familiarité", "réjouis", "distraction" montrent que Bardamu perd toute crédibilité face aux indigènes. On peut y voir à première vue une certaine inconscience, comme si le narrateur se réjouissait avec eux ; cependant, les phrases nominales "Liberté." et "Grande distraction." sont ironiques. Bardamu ne fait pas respecter l'ordre colonial, soit par paresse, soit qu'il manque d'autorité par nature. - D'autre part, on constate une inversion dans les rapports qu'il entretient avec les autochtones, avec les termes "progrès", "leur meilleure manière" qui s'adresse aux Africains. En principe, le colonisateur impose sa civilisation aux populations indigènes ; or ici c'est le civilisateur qui demande à apprendre leurs techniques ancestrales. - Lors de l'incendie provoqué par Bardamu, l'adjectif "jacasseurs" renvoie à des oiseaux, et traduit une curiosité sympathique de la part des indigènes. Ces derniers ne sont absolument pas impressionnés par ce prétendu acte d'héroïsme.
- 3/ un héroïsme factice:
- Dans tout le passage où Bardamu met le feu à sa case, de nombreuses phrases sont dite sur un ton cérémonieux, comme par exemple "Cela se passait avant le coucher du soleil." ou "Les flammes s'élevèrent, rapides, fougueuses" qui semblent empruntées à une littérature héroïque. Ce style contraste fortement avec l'écriture argotique de Céline. De même, l'adverbe "invinciblement" appartient à un vocabulaire épique. - L'allusion à un souvenir d'enfance de Bardamu, "l'incendie célèbre de la Société des Téléphones" transforme le prestige en ton héroï-comique. De plus, l'adjectif "célèbre" est ironique car renvoie à un événement méconnu, voire inventé.
- II. Une satire de la colonisation:
La colonisation est empêchée par un choc de culture ; l'Européen est inadapté à ce territoire et ce climat nouveaux. - 1/ la fièvre tropicale:
Les maladies liées au climat plongent le narrateur dans un délire constant. Le passage qui précède l'incendie, et en particulier la phrase "Tout fondait en bouillie de camelote..." présentent une syntaxe désordonnée et la confusion de plusieurs réalités révèle un esprit qui bat la campagne. De même l'association d'idées délirante ("anarchie", "arche") qui mêle le vocabulaire biblique et politique. Ce passage est lyrique, avec une description de la nature qui correspond aux états d'âme du narrateur. D'autre part, la fièvre se traduit par des hallucinations, elle fait affluer des souvenirs d'enfance, tels que "ma mère... quand elle brûlait les vieux pansements", "mon oncle Charles, qui chantait lui si bien la romance" et "quand j'étais encore bien petit". Bardamu convoque ses souvenirs avec des détails futiles et anodins.
- 2/ la nature hostile:
- Bardamu fait l'expérience de la saison des pluies au milieu d'une forêt tropicale. Cette épreuve se révèle traumatisante, et met en évidence son inadaptation par rapport à la population autochtone.
La phrase nominale "La saison des pluies" fait office de titre, et désigne la réalité qui le rattrape malgré son délire permanent. S'ensuit une description certes lyrique mais qui comporte des éléments réalistes, tel le champ lexical du déuge ("eau", "cascade", ""pluie", "averse"). La comparaison "agressait comme un bâillon tiède" traduit son impuissance face aux éléments.
- Au climat inhospitalier s'ajoute la faune africaine et l'isolement de Bardamu. Loin de toute civilisation, celui-ci a pour toute compagnie des indigènes qui ne parlent pas la même langue. En témoigne l'expression ironique "nous échangions en signe de grande compréhension des signes".
Céline emploie le cynisme pour mettre en valeur la frustration de son personnage, qui souffre de sa solitude. D'où la phrase "Ils devaient en avoir plein la vue les hiboux, les léopards, les papagaïes etc." qui montre que seule cette ménagerie hétéroclite est présente pour admirer l'acte de rébellion de Bardamu. "La forêt pouvait revenir à présent" exprime également son désir de narguer un univers hostile.
La fièvre, le manque de communication ainsi que le climat tropical inconnu aux Européens sont autant de facteurs qui empêchent le colonisateur (en l'occurrence Bardamu) d'exercer son action civilisatrice.
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