almi
Messages : 13 Date d'inscription : 18/11/2015
| Sujet: Lecture Analytique : Arthur Rimbaud - "Les Poètes de sept ans" Mer 20 Avr - 9:27 | |
| - INTRODUCTION:
A la fin du XIXème siècle, la poésie s'affranchit des règles et structures classiques instaurées par les poètes de la Renaissance. "Les Poètes de sept ans" est une autobiographie versifiée écrite par A. Rimbaud autour de 1870, qui rapporte les aspirations secrètes d'un enfant prisonnier d'une éducation trop stricte. Le pluriel du titre ("Les Poètes") donne au texte une dimension universelle : il désigne également tous les enfants du même âge qui cherchent une échappatoire à leur vie morne.
(je vais vous lire ce texte)
En quoi peut-on dire que ce poème exprime une double révolte?
- I. La révolte sociale:
L'esprit du temps s'exprime dans ce poème autobiographique de façon évidente. Cette révolte se traduit par : - 1. le refus d'un ordre bourgeois:
- L'extrait étudié s'ouvre sur une série de termes dépréciatifs:
- "dimanche" (le jour du Seigneur) est qualifié de "blafard" : adjectif qui évoque la maladie, personnification du dimanche - le mois de décembre traduit le manque de lumière
- On note une allitération en [d]: plusieurs interprétations sont possibles, maison peut penser que le jeune garçon trépigne d'impatience, ou bute sur les mots de la Bible qu'il est censée lire.
- L'adjectif "pommadé" montre le respect de la bourgeoisie pour les apparences, et le "guéridon d'acajou" rappelle l'aisance bourgeoise.
- La Bible, livre sacré, est affublé de la qualification "vert-chou" qui le ridiculise. On peut penser que Rimbaud se venge de ces heures pénibles en raillant un objet de vénération.
Cette éducation rigoriste conduit l'enfant à des cauchemars ( "des rêves l'oppressaient") ; et les indicateurs de temps : "les dimanches", "chaque nuit" renvoient à un supplice sans trêve / idée de continuité Pour finir, cette enfance sombre aboutit à un cri de révolte : "il n'aimait pas Dieu". Cette phrase violence et provocatrice est un reniement de la religion, et par conséquent de son appartenance à la classe bourgeoise.
- 2. Cet enfermement a pour conséquence une aspiration vers l'extérieur. L'enfant compense sa frustration par un appel du dehors/une attirance envers la classe prolétaire:
L'hémistiche au vers 48 illustre cette opposition : on a devant les yeux une scène réaliste, qui se rapproche de l'écriture zolienne.
- Les termes de "noirs, en blouse" et "faubourg" désignent les mineurs qui rentrent du travail.
- L'adjectif "fauve" est polysémique : il crée une synesthésie qui associe couleurs et odeurs. Cette idée se retrouve dans une allitération en [r] aux vers 50-51, qui imite le rugissement.
- L’assonance en [ou] et autres voyelles ouvertes est une harmonie imitative qui reproduit le brouhaha d'une foule. Celle-ci est très vivante et contraste avec la monotonie du milieu bourgeois.
Le vers 51 : "autour des édits rire et gronder les foules", évoque les revendications des ouvriers qui luttent contre la tyrannie du patronat. Les "foules" sont une collectivité complice, unie qui s'oppose à la solitude du jeune poète.Cette scène correspond au mythe du Grand Soir décrit par Karl Marx ( il s'agit d'un mouvement de révolte exalté du prolétariat, une revanche de la classe dominée sur la classe dominante).
- Enfin, aux deux derniers vers, le rejet "rumeur du quartier/En bas" est séparé de l'adjectif "seul" par un tiret. Symbolise le fossé social qui les sépare, mais aussi établit un système de valeur : Le poète refuse les valeurs qu'on lui a inculquées au profit d'un autre milieu social. "En bas", placé en apposition, pourrait également s'assimiler à un coup de canon marquant son départ, sa fugue.
- II. La révolte poétique:
- 1. la violence:
Le texte est traversé par une certaine intensité.
- Aux vers 49-50 ("Dieu/Mais les hommes"), les syntagmes désordonnés et la fréquence des virgules donnent un effet sectionné. Ce rythme saccadé correspond à une poésie physique. Vise à recréer l'état du poète, qui fulmine/suffoque de rage. La description des ouvriers est également hachée ("noirs, en blouse") : le rythme épouse la réalité. Ces éléments juxtaposés évoquent des bribes de sensations, un raisonnement non construit, un jaillissement d'idées soudaines et irrépressibles.
- Outre le rythme saccadé, la violence s'exprime à travers un lyrisme paroxystique. Le poète largue les amarres à travers deux décrochements successifs ("Tandis que..." et " - seul...voile"). L'enfant est envahi par de multiples sensations et images, comme le montre la métaphore de la prairie.
Les tirets marquent une rupture thématique, et contribuent à une certaine confusion, perte de repères : ses rêveries se fondent avec la réalité. Aux vers 56-61, les groupes nominaux qui s'enchaînent évoquent l'ivresse de la vitesse (o constate une accélération par rapport à l'ennui du début) et offrent une vision apocalyptique. De plus, les points d'exclamation intensifient la violence des sensations. Cette succession d'images fait penser à un kaléidoscope. Enfin, les deux rejets "En bas" et "Ecrue" qui sectionnent le rythme sont en contraste avec l'adverbe "violemment" ", étiré par une diérèse. Ce terme est délibérément mis en valeur et le son se rapproche de celui de "voile", pour souligner sa volonté irréductible de prendre la fuite.
- 2. la douceur des visions:
La véhémence du poème cohabite avec une certaine quiétude, qui correspond aux rêveries du poète. Tout d'abord, une allitération en [m] émaille ce texte ( "pommadé", "remuement calme", "médité", "rumeur", violemment"...) et contribue à donner une ambiance sereine.
- On retrouve un lyrisme traditionnel aux vers 51 à 54, avec la "prairie amoureuse" : la nature est personnifiée, et les "houles lumineuses [qui] prennent leur essor" dévoilent un paysage fantasmagorique. La métaphore des blés ("pubescences d'or") qui évoque un duvet, renvoie elle aussi à cette impression de douceur.
- Cependant, ce paysage idyllique né des rêveries d'un enfant peut également être perçu comme une image du corps érotique. Rimbaud prend au sens propre le lyrisme - qui est une union avec la nature - par le biais d'un rapprochement physique. Ainsi, les expressions "pubescence d'or" et "chambre nue" sont polysémiques.
--> LYRISME QUI REJOINT L' ÉROTISME.
On a donc une superposition de deux "je" lyriques : celui du "poète de sept ans", et celui de l'adolescent de 16 ans qui rédige le poème.
- Conclusion:
En conclusion, on peut dire que ce poème exprime une double révolte : celle de l'enfant frustré qui rejette son éducation bourgeoise, et celle d'un adolescent rebelle qui cherche à briser les codes poétiques. Ce poème dépasse l'autoportrait pour mener à une réflexion plus large à travers le titre généralisé " Les Poètes de sept ans". Il réfute l'idée de l'âge de raison, et soutient qu'au contraire, les enfants de cet âge ont de grandes aspirations poétiques qui les portent vers l'imaginaire.
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