almi
Messages : 13 Date d'inscription : 18/11/2015
| Sujet: La Cantatrice Chauve (Ionesco) - Dénouement lecture analytique Jeu 16 Juin - 10:07 | |
| A partir de "On ne fait pas briller ses lunettes avec du cirage noir" - Introduction:
La Cantatrice Chauve est une anti-pièce écrite par Eugène Ionesco en 1950, dans un contexte d'après-guerre marquée par un traumatisme profond et une crise de la création ; elle s'inscrit dans le courant philosophique nihiliste. Ionesco se pose également contre a tradition théâtrale, notamment le vaudeville (ou théâtre de boulevard) : c'est une pièce habitée par le néant des conversations bourgeoises.
Dans cette scène, Mr. et Mme Smith ont invité le couple Martin à dîner. Après une conversation qui s'enlise durant toute la pièce, les convives cèdent peu à peu à l'hystérie et s'échangent des répliques sans ordre ni raison. Le langage se déstructure peu à peu, portant l'absurde à son paroxysme.
- I. Le comique:
- 1. le détournement de proverbes:
Ionesco réinvente les proverbes en créant des associations inattendues ("On ne fait pas briller ses lunettes avec du cirage noir", "J'aime mieux tuer un lapin que chanter dans le jardin"). Ce jeu signifie en réalité que pour ces bourgeois prisonniers des convenances, les mécanismes de langage ont fait disparaître le sens. Il s'agit donc d'une véritable crise de la communication.
D'autre part, le non-sens des propos rappelle l'écriture automatique des surréalistes.
- 2. une communication par contamination sonore, et non par logique:
La pièce repose en grande partie sur un jeu sur les sonorités et les homophones. On relève entre autres : les sonorités en [kaka] qui évoquent le cancanement d'une basse-cour, et [ouch] par lesquelles les personnages se répondent en écho. Les séries sont de plus en plus courtes, ce qui accélère le rythme.
Cet échange entièrement dépourvu de logique, s'explique par le fait que Ionesco considérait la conversation comme un simple bruitage ; pour Heidegger, elle est une façon de meubler le vide.
- 3. le burlesque:
- un décalage de comportement : les adultes régressent Ce retour en enfance se traduit par : - l'humour scatologique sur les sonorités en [kaka] (Freud considérait la veine scatologique comme l'une des sources traditionnelles du rire) - le champ lexical des animaux qui est un retour au bestiaire - les onomatopées "teuff teuff" : enfants jouant au petit train - la récitation de l'alphabet : les personnages s'adonnent à l'énumération de lettres et profèrent des onomatopées ; ils finissent par échanger des monosyllabes
- un décalage de statut social : les bourgeois révèlent une certaine trivialité Se traduit par : - des manquements à la bienséance ("Mme Martin, ouvrant tout grand la bouche : Laissez-moi grincer des dents!") - des néologismes vulgaires ("Encaqueur", "mouche ta bouche") - l'allusion à une chanson grivoise ("Mariette, cul de marmite") Ainsi, malgré une apparence de distinction, on peut dire que le naturel revient très vite au galop.
- II. Le tragique:
Au-delà de l'aspect comique, cette pièce comporte une dimension angoissante.- 1. une hystérie générale:
Les didascalies indiquent un jeu de scène colérique ("hostilité et énervement", "criant leurs répliques", "levant les poings"). De plus, les nombreux psittacismes [le fait de répéter des paroles à la manière d'un perroquet] tels que les énumérations "cacatoès, cacatoès, etc." ou encore "Quelle cascade de cacades" répété 5 fois , traduisent une perte de contrôle. Enfin, l'agressivité se retrouve dans des insultes par mots détournés ("Encaqueur", "espèce de glouglouteur"), ainsi que dans les nombreux impératifs.
- 2. une colère sans fondement:
Les personnages se répondent du tac au tac par des réponses brèves, ce qui renvoie à une compétition. D'autre part, ils essayent de se faire taire les uns les autres ("Mouche ta bouche", "tu nous encaques", "Tu m'embouches")
- 3. le véritable motif :
Les personnages ressentent une oppression due à leur statut social. Ils tentent donc de renier leur culture et leur éducation, comme le montrent les noms de poètes et d'écrivains scandés pêle-mêle ("Balzac", "François Coppée", "Sully Prudhomme").
Exotisme ("habiter ma Cagna dans les cacaoyers") traduit un désir d'évasion de ce monde sclérosé.
- Conclusion:
En conclusion, on peut dire que cette pièce présente une réflexion sur le théâtre : par la provocation, elle remet en question les artifices du théâtre traditionnel. Elle comporte également un aspect sociologique : une critique de la classe moyenne qui, selon Heidegger, s'intéresse non pas à l'être (SEIN) mais au paraître (DASEIN), et traduit une profonde crise de la communication. Enfin, ce dénouement est plutôt un anti-dénouement. En effet, rien n'est résolu, puisque l'intrigue est pratiquement inexistante. Le fait que la pièce ne se termine pas mais projette de recommencer avec des personnages interchangeables annule l'effet de dénouement. Ainsi, l'absurde est présent jusqu'à la fermeture du rideau.
| |
|
lou Admin
Messages : 165 Date d'inscription : 03/06/2013
| Sujet: Re: La Cantatrice Chauve (Ionesco) - Dénouement lecture analytique Mer 5 Oct - 14:34 | |
| cliquez sur les titres pour voir le contenu se dérouler. | |
|