lou Admin
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| Sujet: Le Gellért Mar 9 Juin - 12:51 | |
| Le Gellért Chapitre 1 Le Gellért
Très apprécié pour ses thermes, l´hôtel Gellért était avec le palais et l'opéra l'un des lieux les plus prestigieux et les plus fréquentés de Budapest. Il surplombait de ses sept étages le Danube, qui par beau temps reflétait ses façades majestueuses. Tobiás Màrton était un jeune homme de vingt ans environ, un de ces bruns qui semblent roux quand ils se retournent, haut de taille aux yeux bleus. Il avait été recruté cinq mois auparavant, le 15 mars 1910, pour la fête nationale. Femmes de chambre et serveurs savaient que la ponctualité était primordiale dans un hôtel de tel prestige. Employé modèle depuis son embauche, Tobiás ne manquait jamais à cette règle. Tous les matins, il se levait à cinq heures au lever du jour, afin d'être fin prêt et disponible dans le salon à six heures moins le quart pour l'appel des employés trouvant lieu à six heures précises. À l’affût, il observait chaque hôte, un à un : leurs gestes, leur tenue, afin de répondre au mieux à leurs besoins tout en devançant leurs désirs. C'était avec cette attention précise qu'il servait les clients de l'hôtel dans le salon et les chambres, jusqu'à l'heure du déjeuner, à laquelle l'un de ses camarades prenait le relais. Libéré de cette corvée il gravissait les escaliers en spirale jusqu'au troisième étage, pour apporter son repas à Ernö Csillag,le directeur de l'hôtel, en passant par le couloir des propriétaires, dont une porte lui semblait toujours verrouillée. Chaque midi il s'arrêtait quelques instants pour la contempler en songeant au moment, où elle s'ouvrirait enfin. Après avoir servi son supérieur, le jeune serveur s'empressait de se changer en tenue de ville et enfourchait une bicyclette de l'hôtel pour aller quérir la livraison quotidienne de cigares.
Il traversait le Danube en passant par le pont de la Liberté. Arrivé à Pest il longeait la rue Vámház, en roulant devant le grand marché et le musée national. Il tournait généralement dans la rue Rakoczi, mais les jours de bonne humeur, il s'autorisait un détour jusqu'à la synagogue avant de déboucher sur la Dohàny utca où se trouvait le marchand de cigares. Tout ce petit trajet lui prenait environ une demi heure quand les rues étaient dégagées. Le garçon, une fois arrivé, chargeait son panier d'une caisse de prestigieux Por Larranaga Cubains et de doux Alsbo cherry, se gardant toujours le privilège de faire discrètement glisser un délicieux cigare dans la poche de son veston brun.
Sur le chemin du retour il s'arrêtait au milieu du pont pour admirer quelques instants la façade blanche somptueuse du Gellért , remerciant Dieu de pouvoir travailler dans un lieu de tel prestige. Une fois de retour, il enfilait à toute vitesse son uniforme noir et blanc, se parfumait d'eau de toilette peu chère, avant de se rendre au salon pour proposer les précieux rouleaux de tabac à la clientèle. Le dîner était servis à vingt heures sans faute. Mais le service de Tobiàs s'étirait souvent au delà des vingt-deux heures. Une fois tous les hôtes couchés, venait la préparation des tables pour le petit déjeuner du lendemain, rythmée par le tic-tac régulier du pendule en chêne massif. Puis il descendait sur la rive du Danube, et fumait le cigare « emprunté » tantôt, au doux son des vaguelettes s’écrasant sur le rivage, il repensait à Zsofi Csillag, partie il y a si longtemps étudier à Madrid. Et comme chaque soir, il se répétait cette unique et même phrase que son camarade de chambre s'était tâché de lui rappeler le jour de son arrivée à l'hôtel, : « Ils ne sont pas tes amis. Ces quarante centimètres entre le serveur et le client peuvent te paraître peu, mais ils n'appartiennent pas à la même sphère que toi et moi, c'est un autre monde Tobiàs, ne l'oublie jamais »
- Chapitre 2:
En effet malgré l'apparente amicalité de certains clients envers les domestiques, chacun était conscient de l'immensité séparant ces deux mondes, et personne ne se serait risqué à l'oublier. La largeur d'un comptoir représentait pour eux un gouffre infranchissable. Mais au plus profond de lui-même, Tobiás ne pouvait s’empêcher d’espérer le retour prochain de Zsofi. Il avait été séduit par son charme dès son premier jour à l’hôtel, en apercevant son visage au-dessus de la cheminée du salon dans ce cadre doré où se noyaient sa magnifiques chevelure blonde ondulée. Pendant l'appel il ne se concentrait que sur une chose, ses yeux verts, d'un vert qu'il ne pouvait définir par des mots, des yeux qui semblaient lui faire un signe, un signe amical, un signe tendre. Il ne cessait d'entendre chacun vanter ses nombreuses qualités, renforçant à chaque mot son admiration toujours plus grande pour cette inconnue qu'il n'avait jamais rencontrée et qui pourtant ne quittait plus son esprit. Présente dans chacun de ses songes, ou de ses projets, elle le hantait à chaque moment de sa vie, que ce soit pendant son service ou durant ses rares poses. Chaque fois qu'un carrosse entrait dans la cour de l'hôtel, pavée de marbre blanc, son cœur s’emballait, son attention portée au service des clients s'envolait pour se focaliser sur la porte laquée qui s'ouvrait, imaginant qu'elle rentrait enfin. Puis immanquablement, une immense déception s'emparait de lui, lorsqu'il voyait sortir le compositeur attendu pour le récital de piano qui aurait lieu le soir même, ou une riche cliente accompagnée d'une dizaine de chiots, qui sautillaient partout, et sur lesquels il faudrait veiller à chaque seconde pour n'en laisser échapper aucun. Cette attente, ces déceptions ne faisaient qu'augmenter de jour en jour ce désir de la voir, de la contempler, de la servir. Cette vénération, qui l'accompagnait tout au long de la journée, se transformait infailliblement en haine lorsqu'il croisait au détour d'un couloir, ou au milieu du grand salon pendant son service, le fils de Laszlo Nagy, le deuxième propriétaire de l'hôtel. Ce fils appelé Adorjàn et dont tout le monde murmurait qu'il demanderait très prochainement la main de Zsofi, qu'il connaissait extrêmement bien pour avoir grandi avec elle dans cet hôtel, était l’ennemi juré de Tobiàs. Et pas seulement car il s'agissait de son principal rival dans la conquête d'un lien avec la belle Zsofi, même si leurs but étaient totalement différents, mais aussi car c'était un homme que tous les domestiques craignaient pour sa méchanceté. En effet, derrière sa belle carrure élancée, ses cheveux noirs, et ses yeux bruns pétillants qui disparaissaient pour laisser place à un large sourire charmeur creusé de fossettes à faire tomber toute femme, se cachait une bête terrifiante. Il lui arrivait régulièrement lorsqu'il était énervé, dû à un oubli de prise de médicaments calmants prescrits par son psychiatre, de passer ses nerfs sur eux en en renvoyant certains sans aucuns motifs, où en criant sur d'autres qui avaient commis une seule erreur : être passés dans son champ de vision. Mais ce comportement était devenu presque habituel pour ceux qui faisaient partie de l'hôtel depuis longtemps, et il semblait que Tobiàs était le seul à s'indigner, et à s'opposer à Adorjàn lors de ses fréquentes crises. Employé depuis peu, peut-être était-il le seul à ne pas avoir lié d'amitié avec cet homme qui ayant ingurgité sa médecine était très plaisant et même agréable. Il avait d'ailleurs à plusieurs reprises failli être renvoyé et n'avait pu rester dans l'hôtel que grâce à un miracle. Un miracle nommé Ernö.
Mais ce jour-là fut différent, ce fut le commencement d’une longue série d’évènements, certain ordinaires et d’autres au contraire particulièrement étranges, pour qui savait décrypter la signification de chaque geste dans cette société où chaque détail avait une importance capitale. Tobiàs s’était réveillé plus tôt qu’à son habitude, et avait décidé de se lever pour pouvoir sortir quelques temps, avant de prendre son service. Il quitta donc sa chambre sans bruit afin de ne réveiller personne et faillit s’étrangler d’étonnement en apercevant de la lumière et une silhouette mouvante au troisième étage, dans la seule pièce où personne n’entrait jamais, la pièce à la porte close…
Il se dirigea donc vers la pièce, située dans l'aile opposée, à l'étage des propriétaires. Il traversa les grands couloirs déserts à cette heure matinale où, malgré ses efforts pour en atténuer le bruit, chacun de ses pas lui paraissaient être une multitude de coups de tonnerre résonnant dans l’hôtel tout entier. En effet l’obscurité et le silence pesant qui régnait dans le Gellért la nuit, avaient décuplés son ouïe, et lui faisaient paraître assourdissant les bruits les plus ordinaires, les plus communs, les plus imperceptibles, comme le claquement de ce volet mal accroché, ou le hululement de cette chouette probablement posée dans l’immense arbre qui trônait au milieu de la cour. En arrivant dans le couloir des propriétaires, il aperçut immédiatement le rai de lumière qui filtrait sous la porte. Au loin il entendit une église, bientôt suivie d'une deuxième, sonner 5 heures et subitement, la lumière s'éteignit.Tobiàs entendit alors nettement un bruit de rideau puis quelques pas. S’apprêtant à voir s'ouvrir la porte, il se dissimula dans l'angle d'un couloir transversal, et retenant sa respiration il attendit que l'inconnu sorte.A plusieurs reprises quelques pas vinrent briser l'épais silence rythmé par l'horloge du grand salon et le bruit des domestiques qui venaient de prendre leur service, mais la porte demeura close. Au bout de plusieurs minutes d'attente, Tobiàs s'impatienta et s'approcha de la chambre. Il écouta à la porte, et n'entendant rien qu'un infime bruit de respiration qu'il n'était même pas certain d'avoir réellement perçu, il approcha son œil de la serrure mais que ce fut parce qu'elle avait été obstruée ou à cause de l'obscurité de la chambre, il ne put rien distinguer. Avant qu'il ait pu ouvrir la porte pour tirer cette affaire au clair, la voix de la gouvernante résonna dans le couloir et le rappela à l'ordre, lui demandant ce qui lui prenait de fureter ainsi devant les serrures de propriétaires. Elle lui rappela que la discrétion et la bienséance étaient deux règles auxquelles il se devait d'obéir s'il ne voulait pas être licencié sur le champ, car un domestique ne devait entendre que les ordres qui lui étaient adressés, ne voir que les assiettes de porcelaine à débarrasser, et se contenter d'obéir sans réfléchir. Tobiàs rétorqua qu'il ne lui serait bien entendu jamais venu à l'esprit d'espionner qui que ce soit dans cet hôtel, mais qu'il avait la veille cassé sa clé dans une serrure et qu'il tentait en vain de remettre la main sur le bout manquant pour réparer la clé. La gouvernante grommela qu'il devait faire plus attention à l'avenir, et fit mine d'accepter sa réponse mais en passant devant lui elle chuchota un :"j'espère qu'elle est belle au moins" qui rendit le jeune homme perplexe. Tandis qu'elle s'éloignait dans le long corridor elle se retourna et l'envoya aux cuisines où un petit déjeuner attendait d'être servi. Tobiàs partit donc, se jurant qu'il reviendrait rapidement pour comprendre ce qu'il s’était passé.
Chapitre III Les heures s'étiraient de plus en plus. Le matin s'était déroulé dans la plus grande monotonie. Tobiàs était apathique, il servait, débarrassait sans prêter attention à quoi que ce soit hormis une chose, l'inconnue. La belle jeune femme du second étage qui semblait avoir posé un œil fou d'amour sur lui, lui avait déjà demandé trois tisanes et lui demandait maintenant de l'accompagner aux thermes pour l'aider dans sa toilette. Il la suivait, sans grande envie mais simulant un enthousiasme pour ne pas contrarier la belle. Il jeta un œil sur la montre en verre acquise il y a peu pour décorer les bains, elle affichait quatre heures, plus que soixante minutes et sa pause commençait. Le cigare cognait contre sa jambe et il gardait une main dans sa poche tandis qu'il se dépêchait de rejoindre la Kisasszony pressée d'arriver. Elle se déshabilla sans gêne dans son compartiment. Il ne broncha pas à la vue de la belle peau claire et pure de la créature. Il s'amusaient entre collègues serveurs à l'appeler "la nymphe" car elle avait ce pouvoir envoûtant et cette beauté pure que possèdent ces femmes mythiques. Mais ce jour là il ne se laissa pas prendre par son jeu, il lui tendit son maillot le regard ailleurs. Vexée elle se rapprocha de lui et lui posa un tendre baiser sur la joue, il sourit lui offrant un regard chaleureux, et franc. Il avait beau ne rien ressentir pour elle, elle semblait l'apprécier et une amie dans les clients de l'hôtel n’était jamais à refuser. Cette dernière lui tendit ses cheveux pour qu'il l'aide à mettre son bonnet de bain. Il lui fit une natte qu'il enroula pour mettre dans la coiffure de soie d'inde. C'est à ce moment là qu'une idée lui vînt.
Peut-être pourrait-elle lui rendre un service, peut-être saurait-elle se montrer généreuse.Le regard penseur il se rendit compte, que la natte qu'il réalisait était finie depuis bien longtemps, et qu'il tripotait étrangement les cheveux roux de la Kisasszony Alma qui le regardait d'un air interrogateur.
Il se détourna furtivement afin d'échapper à ses yeux critiques, et lui tendit tour à tour son maillot couleur prairie, et son peignoir. Il consacra toute sa dernière heure de service au bien-être d'Alma, se montrant plus attentif et généreux qu'auparavant. Celle-ci, comblée n'y voyait que du feu! Les verres de boissons rafraîchissantes, se vidaient à une allure incroyable, tout allait pour le mieux dans cette heure-ci de l'après-midi. L'hôtel s'enrichissait, Tobiás profitait, et la Kisasszony Alma savourait le goût du bonheur, car bien que riche, son caractère enjoué, et sa malice repoussaient bien des prétendants. Ceux-ci la qualifiaient de vulgaire, d'impolie, ou même d’indigne du titre de Kisasszony.
Mais l'hôtel, lui, tout entier savait la juger à sa juste valeur, il la vénérait, comme cliente juste et fidèle depuis dix ans. De l'époque où elle venait encore accompagnée par ses parents, à ce jour où en belle jeune femme elle revenait, pour reprendre goût à la vie et ranimer de vieux souvenirs.
Il lui avait même offert cette année, pour le dixième anniversaire de sa fidélité, un passe-partout, pour que la jeune dame puisse choisir sa chambre parmi la large palette.
Chapitre IV Jon C’était en réalité ce passe, permettant d’entrer dans toutes les pièces de l’hôtel, et surtout l’espoir de pouvoir le subtiliser discrètement qui avait motivé la patience de Tobiàs pendant cette heure passée à s’occuper d’Alma. Il avait guetté pendant tout ce temps le moment propice, et c’est aux environs de 5 heures qu’il se présenta. Alma s’habillait dans une cabine, demandant à intervalles réguliers à Tobiàs de lui tendre ses habits. Profitant de ce qu’elle ne le voyait pas, et continuant à lui parler il s’éloigna légèrement se rapprochant du sac de la jeune fille qu’il fouilla pour lui subtiliser la précieuse clef. Il raccompagna ensuite Alma à sa chambre. Elle avait revêtu une magnifique robe verte qui, les mettant en évidence, lui fit se rendre compte de la beauté de ses yeux, qu’il avait à peine remarqués. Sitôt qu’il eut terminé d’accompagner Alma, il se précipita vers la chambre close, avant qu’un autre client ne lui demande de lui apporter un rafraîchissement, le téléphone, ou encore de venir l’aider à effectuer telle ou telle tâche fastidieuse. Il se dirigea donc vers l’escalier, échappa de justesse au maître d’hôtel en entrant précipitamment dans une chambre inoccupée, et quelques minutes plus tard se retrouva devant la chambre close. Il introduisit la clé dans la serrure et tenta de la tourner, en vain, elle pivota dans le vide et la porte demeura close. A cet instant, l’une des portes, qui n’était autre que celle d’Ernö Csillag, s’ouvrit laissant apparaître le riche propriétaire. Voyant Tobiàs, Ernö lui ordonna de lui apporter deux cafés. C’est ainsi que Tobiàs repartit sans avoir rien découvert, exaspéré de devoir en plus apporter ses cafés à Ernö pendant sa pause. En traversant un couloir, il aperçut Jon son compagnon de chambre, serveur lui aussi, qui transportait deux tasses de café sur un plateau et une tisane sur un autre. La tentation étant trop forte, il lui emprunta ses deux plateaux lui lançant distraitement un « je te revaudrais ça » et remonta les quelques marches qu’il avait descendues. Il apporta donc son café à Ernö, puis redescendit, et sous prétexte de lui apporter la tisane replaça discrètement le passe dans le sac d’Alma.
Déçu il remonta dans sa chambre. Traînant le pas. Il n'avait de toute façon rien de mieux à faire. Un pied, puis un autre. Il contempla les marches une à une, et comme si souvent, remarqua que plus il approchait le quatrième étage, plus la peinture blanche se décapait. Les hôtes logeaient au premier et second étage et n'empruntaient l'escalier de service qu'en cas d’inattention ou de commissions qu'il fallait mieux garder secrètes. Les propriétaires connaissant ce fait, ne sacrifiaient que tous les deux ans une mince part de leurs revenus à son entretien. Mais bien qu'usé, l'escalier était parfaitement propre à toute heure de la journée. Quand Tobiás eut gravi les 200 marches et enfin atteint le quatrième étage qui se trouvait sous les toits il s'engouffra dans le mince couloir. Le parquet grinça sous son poids. Pff, les parquets étaient vraiment trop fins à cette étage, tout ça pour économiser moins d’argent que ce que les clients gaspillaient en nourriture en une seule journée. Et comme par hasard c’était encore à eux, les domestiques de faire attention à ce qu’aucun de leurs pas ne puissent déranger en quoi que ce soit la si précieuse quiétude des clients. Le confort de pouvoir marcher normalement et non comme de vulgaires voleurs leur était refusé… Ainsi que celui de pouvoir dormir tranquillement parce que bien entendu, les clients quand à eux ne se préoccupaient pas de savoir si leurs rires cacophoniques ou leurs conversations des plus animées pourraient déranger les habitants du dessus qui restaient tout de même des êtres humains à part entière ! … Ah quel rêve ce serait de ne plus rien entendre à travers ce plancher! A ce moment une idée lui sauta à l'esprit! Comment avait-il pu être si aveugle?! Il accéléra le pas. Un coup à droite, un coup à gauche, les corridors blancs défilaient à toute allure. Le plancher grinçait horriblement dans une sorte de hurlement lugubre. Mais qu'importe, il ne devait pas oublier son plan. Gauche, droite, il était enfin arrivé. Il entrouvrit la porte 86 et se jeta dans la pièce. Jon qui lisait le roman de Jane Austen, Mansfield Park, qu'il avait reçu de sa grand-mère londonienne( Il la surnommait "Nan", prononcée "naine" ce qui faisait bien sourire notre héros) pivota calmement la tête vers la porte entrouverte et leva ses yeux bleus vers Tobiàs. Ce n'était pas la première fois que son jeune colocataire faisait une entrée des plus turbulentes, à chaque fois une nouvelle "bonne" idée en poche. Cette fois n'était pas une exception. Tobiás ne perdit pas de temps avec de banales explications. Il lui distribua les tâches qu'il devrait accomplir le soir même, sans fautes puis prit ses affaires posées soigneusement sur la petite commode en chêne qu'ils se partageaient à deux et qui était le seul meuble de rangement de la pièce. Une serviette, un savon et une bouteille de vinaigre à la main, il sortit de la chambre à grand pas, enthousiaste.
Il avait confiance en Jon. Une confiance aveugle, comme celle que l'on a dans un vieil ami qu'on connaît depuis la nuit des temps. D'où venait-elle ? Il n'en avait aucune idée. Il était arrivé dépourvu et affamé à la gare de l'Ouest de Budapest, après presque 3 jours à se dissimuler dans des train diverses passant de l'un à l'autre en pleine nuit ou une fois le train en marche. Il avait ainsi parcouru la moitié de l'Europe sans argent ni nourriture. Et puis dans un brouillard confus, il était descendu d'un train, à bout de force. N'ayant plus l’énergie de faire un pas de plus, il s'était effondré sur une petit banc en bois blanc et avait attendu, priant pour que sa fin vienne vite. Mais elle n'arrivait pas. Allait-elle arriver avec le prochain train? Madrid, Paris, Bucarest, Munich, les arrivées défilaient devant ses yeux dans un flou magistral. L'agonie était lente, la mort n'allait pas tarder....Il s'imaginait déjà ce nouveau monde de justice qu'il allait pénétrer dans l'au-delà, loin de sa vie présente. Il voulait la fuir et le seul moyen de l'oublier était la mort, ces traces...
C'est à ce moment-là qu'une ombre s'arrêta devant lui. Il leva la tête tremblant, faible et dépourvu. Pensant à un contrôleur, il commença à bafouer de vaines excuses. La silhouette se baissa, il aperçut alors une tête blonde, le regardant d’un air inquiet. Il crut entendre le jeune homme, vêtu d’une chemise à carreaux, lui demander s’il l’entendait, s’il était encore vivant. Il ne prit pas la peine de lui répondre, trop habitué à ces gens qui s’inquiètent de votre état, mais n’ont ensuite même pas la générosité, lorsqu’ils vous voient vivant, de vous donner quelque chose à manger. N’entendant aucune réponse, l’homme s’approcha du maigre baluchon que Tobiàs tenait dans ses mains. Mais à peine eût-il fait mine de le prendre, que Tobiàs se releva comme par réflexe et dans un dernier élan d’énergie lui enfonça un genou dans le ventre. Jon, car c’était lui, s’effondra à terre. Il reprit rapidement ses esprits, mais un seul regard à Tobias le dissuada de retenter une approche. Il avait seulement voulu regarder s’il pourrait trouver l’identité de ce jeune homme qui devait avoir son âge et qui semblait pourtant avoir vécu bien plus d’épreuve que lui n’en vivrait en une vie. Il avait simplement voulu l’aider, en lui payant un billet de train pour qu’il puisse rentrer chez lui, ou en l'aidant à trouver un endroit et un travail qui lui permettrait de subvenir à ses besoins. Voyant que l’inconnu s’était rassit tranquillement sans signes d’agressivité, montrant ainsi qu’il avait simplement voulu se défendre, il retenta sa chance. Comme on approche un animal sauvage, il fit attention à éviter tout geste brusque qui aurait pu alarmer l'étranger. Doucement, il se laissa glisser à côté de lui sur le banc. Peut-être était-ce la mince différence d'âge entre lui et son adversaire, ou l'affrontement prochain de sa nouvelle carrière au palace hongrois, mais Jon eut soudainement envie de partager sa route et sa fortune avec le jeune homme. Il posa ses mains à la manucure parfaite sur le bois peint de blanc. Tapotant nerveusement du doigt la matière laquée il réussit à prendre courage. Le singulier personnage qui l'avait attaqué quelques minutes auparavant avait repris son allure de martyr. Ses côtes saillantes firent frissonner l'anglais, qui ne connaissant que la nouvelle bourgeoisie, n'avait jamais été confronté à une telle misère. Il toussota puis articula: -Moan cher Moansieur, je voulaye vous poapoaser de m'accommpagner danns ma quête de forchtoune. Je vais an diréctioan du Gellért, auriez-vous l'anvie de me tenir compagnie? Tobiàs leva ses yeux remplis de douleur. Jusqu'à cet instant, le monde et la société ne lui avaient rien réservé de bon. Il s'était fait à l'idée de mourir. La fête nationale approchant, il avait souhaité épargner ses yeux de toute la joie illusoire qui se manifeste autour de cet événement. Tous semblent vivre dans un univers parallèle où tristesse et miséricorde n'est qu'abstraction. Lui serait piétiné, forcé à regarder la foule bien portante se gaver de mets plus délicieux les uns que les autres, dont le doux fumet le tiraillerait jusqu'aux entrailles. C'était un jour d'hiver glacial. Le gel et le neige meurtrissaient sa peau gercée. Son corps tremblait de plus en plus fort, à chaque coup de vent. La vie quittait peu à peu cette poupée de chiffon. Meurtri et affamé, il décida d'agir. Il se risqua à espérer. L’espoir, un sentiment qu’il avait renié bien longtemps auparavant, résigné à affronter avec fatalité la suite d’épreuves qu’il pensait être son unique destin. Décidé à révoquer cette destinée, il leva son visage chétif vers Jon, et hocha la tête. Mais ce qui surprit Jon ne fut pas cette réponse affirmative, ce fut la dureté qui émanait de son regard, cette lueur bestiale, puissant témoignage des terribles épreuves qu’il avait surmontées. C’était un regard profond, un regard qui semblait émaner d’un homme déterminé ayant vécu milles vies. Le décalage entre ce regard intense et impénétrable et la fragilité du corps auquel il appartenait avait quelque chose de déstabilisant. Jon mis quelques secondes à reprendre possession de ses moyens et regarda alors avec appréhension Tobiàs qui se levait. Ne pouvant imaginer ce corps chancelant debout il resta près de lui, préparé à le rattraper à tout instant. Mais à sa grande surprise, Tobiàs ne montra aucun signe de faiblesse, et, plongeant dans ses dernières ressources, se mit debout devant lui. Il faisait beaucoup plus grand que Jon ne l’avait tout d’abord cru, et il le regardait d’un air interrogateur qui semblait lui demander où il comptait aller. Jon commença alors à se diriger vers le célèbre hôtel de luxe, où il avait réussi à quérir une place. D'emblée lentement, craignant à chacun de ses mouvements que Tobiàs, qui refusait toute aide, ne s’effondre à terre. Puis il devint plus confiant, et finit par oublier le jeune homme faible et impuissant qu’il avait cru voir en lui, pour comprendre sa résistance incroyable, et son caractère insaisissable qui l’étonnait encore après plusieurs mois d’amitié.
Le vinaigre qui ruisselait de ses cheveux démangeait les yeux de Tobiàs. Le chahut des chutes d'eau s'échappant des cabines lui donnait le vertige. Mais son malaise ne venait pas de là. Une douleur vive, plus forte que tous les mal-êtres physiques, lui déchirait les boyaux. Un cri de rage remontait le long de sa gorge pour s'étouffer dans un grognement sinistre. Il ne devait pas se faire remarquer. Tous les autres serveurs en pleine toilette pourraient l'entendre gémir. Mais la discrétion appartenait aux fondements de son métier. Ponctualité et Discrétion, Ponctualité et Discrétion, ... Ces deux mots tournoyaient dans son esprit tels un essaim de diptères. Sans relâche. Une rage oppressante s'emparait peu à peu de tout son corps. Il était lâche! Un lâche, un minable! Tous ces mois, Jon avait vécu dans la pensée d'avoir aidé un homme bon, une jeune âme affamée et tiraillée par la société capitaliste... Mais cette personne n'était pas Tobiàs. Il avait trop fait... son innocence était à tout jamais perdue dans les méandres fuligineux de sa vie. Si seulement il avait eu le courage... Mathilde?...János?...me pardonnerez vous ...? Et toi Jon? dernière âme à avoir croisé mon chemin...auras-tu la force de... quand tu découvrira que.... Il sentit l'eau froide lui caresser doucement le front puis le dos pour venir s'abattre sur le carrelage blanc de la cabine de douche, dans un râle mélancolique . Personne ne devait jamais découvrir! PERSONNE! Son passé devait y rester. IL était un nouvel homme à présent, un serveur au Gellért, dans l'une des plus belles villes du monde.
De retour dans sa chambre aux murs pâles, il ne trouva personne. Le livre de son compagnon était soigneusement posé sur leur table en vieux bois placée dans l'alcôve de la pièce. Un vide torpide pesait sur Tobias. Épuisé par les péripéties de la journée il s'accorda un court moment de repos. Prenant soin de mettre son uniforme de côté il s'allongea sur le matelas de paille et ferma mes yeux. [/color][/size][/spoiler]
Chapitre V Le Plan Le gong sonnant minuit retentissait dans le couloir vide du troisième étage. Une ombre se mouvait silencieusement, longeant les tapisseries somptueuses. Les cloches de la ville se turent. La silhouette s'immobilisa, aux aguets, tentant de percevoir l'arrivée d'un étranger parmi les sons si familiers de l'obscurité. Une main gantée se posa sur son épaule. Le glapissement étouffé de Jon rompit le silence qui retomba presque aussitôt sur les deux spectres nocturnes, jusqu'au vacarme déclenché par la chute incongrue de l'anglais ayant tenté de s'éclipser en toute discrétion. Avant qu'il ait put rouvrir les paupières une main ferme le condamna au mutisme. Battant lentement des cils, Jon ouvrit les yeux. Il discerna alors son assaillant. Enveloppé par les ténèbres, Tobiàs l'observait avec amusement, son visage à demi éclairé par la pleine lune, un léger sourire au coin des lèvres. Le rythme cardiaque du britannique s'étant enfin ralenti, le jeune serveur lui tendit une main amicale et l'aida à se relever. -" Alors ? remis de ta frayeur?" ironisa Tobiás, sortant sournoisement une clef ouvragée, polie au travers des siècle. Chaque infime détail semblait avoir été minutieusement façonné. Le serveur l'introduisit délicatement dans la serrure. Le mystère entourant cette porte allait enfin être levé... Jon susurra : -"oh...Tobaïas....No....no, no, no, no nonononon, you didn't !" -"Pourquoi penses-tu que je t'ai demandé d'occuper la gouvernante?" Jon hésita entre le sourire et le reproche. -"Je pensais que celà était pour te faworiser s'une nouvelle concouete. Tobiáïas à côse de toi j'ai dû subiwr la vielle. Oh poor me... Un jour je te le wrendrai et tu le vewras" -"C'est ce que tu dis à chaque fois! Et pourtant..." Jon mima une tape amicale. -"On wrisque d'êtwre wrenvoyés à côse de tes idées de crazy man!" -"Arrête, tu ressembles à ma grand-mère, et encore...elle, elle est plus courageuse! Il faut que tu vives "lazy man"! -" Justement je veux VIVWRRE!... Au fouette.... tu as s'une gwrand-mère toi maintenant....?" -" ...Et du couuup, avec la gouvernante, comment ça s'est déroulé votre tête à tête romantique de ce soir? Tu t'es amusé si tu vois ce que je veux dire?" -"wrark! No hell no! Cette grosse mégère m'a fait twrier tous les cououvewrts et ne m'a pas lâché du regard! Et tout ca pouwrquoi? Pouwr que tu voles cette fichue clef et que tu nous fasse tous les deux wrenvoyés! Non je ne te cwrowirai plus! Quand tu me disais que c'était pour pawrler d'une augmentation ! Pff mon oeil oui! -"Ce serait bien la première fois que tu ne me ferais pas confiance... et pourtant combien de fois déjà tu m'a jurer de ne plus jamais m'écouter?" lâcha Tobiás esquissant un sourire moqueur. Puis il ajouta mystérieusement "Et tu ne veux plus savoir ce qu'il y a derrière cette porte?" -"Yes, oui si tu insistes... bon allez! hurry up !ouvre cette damn porte!Je ne veux pas avoir souffert pour rien! damn it!" -"Ah je te reconnais enfin! Bravo tu viens de découvrir le sens du mot audace !" Après un bref échange de regards (qui voulaient tout dire) ils se tournèrent vers la porte sybilline. La clef tourna dans la serrure. Un petit cliquetis signala que le premier verrou avait cédé. Tobiàs dût procéder avec lenteur afin de ne pas réveiller les propriétaires, qui comme tout homme de leur rang, avaient un sommeil des plus légers. L'objet tourna quatre fois. Puis rien. Silence complet. Le serveur sortit la fine barre métallique de la fente aux arabesques d'or pour la replacer dans le renflement de son veston. Jon posa délicatement sa main gantée sur la poignée et l'abaissa. Accompagnée d'une légère pression, elle offrit ses entrailles aux deux serveurs.
Aussitôt la porte ouverte, Tobiás s'empressa de rejoindre la commode dans l'alcôve gauche de la pièce. A tâtons, il dirigea sa main vers le tiroir supérieur du meuble et l'ouvrit. Enfin il reconnut la forme allongée et lisse des bougies fournies aux hôtes, en cas dés peu depuis l'installation du courant e coupe de courant, ou d'excès de romantisme, au choix. Elles ne servaient cependant que très peu depuis la mise en place du courant électrique. Tobiàs referma délicatement le compartiment en chêne et se mit à la recherche du chandelier en cuivre. Quand il l'eut sentis sous ses doigts il agrippa la poignée et, bougie à la main, tenta de l'imbriquer dans le renflement quand il découvrit un reste de cire encore chaude rendant son dernier soupir. Les pensées fusaient dans le cerveau du jeune serveur. Quelqu'un avait dû abandonné la pièce hâtivement, pris par surprise à l'arrivée des deux employés de l'hôtel. Mais qui? Le jeune homme secoua la tête comme pour chasser son angoisse. Il fallait tout d'abord découvrir ce que recelait cette chambre condamnée. Le cœur fougueux et la paresse dans l'âme Tobiàs alluma la chandelle dans sa main et s'empressa d'en allumer une seconde qu'il tendit à Jon. Le halo de lumière qui baignait son visage donnait une apparence angélique au jeune blond, qui ,plongé dans la découverte de la pièce ne remarqua pas le regard tendre que posait Tobiás sur lui. Il ne s'éternisa cependant pas et se mit À la recherche d'une porte ou trappe connexe qui aurait permis à l’intriguant de fuir. La chambre avait perdu toute son importance, face à ce nouveau mystère. Cependant Jon n'était pas du même avis. Inconscient de la présence d'un troisième individu dans l'appartement ce dernier avait soigneusement tenté d'éclairer son mystère. Les grandes armoires qu'il avait découvertes à la droite de la porte se démarquaient du mobilier des invités. Le bois sculpté semblait prendre la forme des lettres Zs. et Cs. Le britannique approcha sa main de la garde robe et reconnu la surface lisse et marbrée de l'acajou d'Afrique. Ce bois exotique ne pouvait appartenir qu'à l'un des propriétaires, étant bien trop cher pour un mobilier de location. En approchant sa chandelle, Jon découvrit une fine poignée en argent. Ayant franchi son palier du décent en entrant dans la pièce le jeune homme n'hésita point à s'intéresser au contenu du tiroir. Il y trouva quelques photographies en rapprochant la chandelle. Il s'agissait de portraits divers. Un visage cependant attira son attention. Il lui était familier, mais il n'arrivait pas à identifier. Il se retourna, et dans la pénombre tenta de discerner son compagnon. Il marcha vers lui et lui tendit leportrait. Tobiás rougit, mais le manteau de la nuit dissimulait sa gêne . Il s'agissait de Zsofi Csillag. La découverte de cette chambre, l'aurait-elle rapproché involontairement de la mystérieuse dame?
Tous deux se redirigèrent vers le tiroir. Jon avait hâte de découvrir les lettres qui semblaient avoir été dissimulées volontairement entre les photographies. Les mystères étaient les seules choses qu'il lui restait pour égayer ses journées monotones de serveur. De retour à l'endroit précis oú Jon avait trouvé les lettres secrètes, ils ne trouvèrent plus que le bois nu du compartiment. Tobiás grinça des dents, tourmenté . L'inconnu n'avait donc pas quitté la pièce. Les mystères s'enchaînaient sans qu'il ne puisse parvenir À une seule solution. Jon semblait lui aussi troublé. Beaucoup moins impulsif, il se contentait de baisser les yeux, pensant, silencieux. L'émotion le rendait beau. A son charme physique, s'ajoutait une sensibilité attachante. Il paraissait humain ou même divin, quand il ne portait pas son masque neutre d'employé. Jon leva les yeux et chercha Tobiás. Il aurait voulu lui conseiller de revenir la nuit prochaine. Il était lui même prisonnier à présent du mystère de la chambre, captivé par cette histoire d'enquête, qui ressemblait tellement à celle de son livre. Mail il savait être patient. Il avait de suite compris, qu'il n'avait commis aucune erreur sur l'emplacement des documents, et que sans doute une troisième personne tapie dans l'ombre partageait la chambre avec eux. Et pour peu que l'intrigant soit armé, Tobiás mettait sa vie en danger. Bien visible dans le halo que projetait sa bougie, il ne suffirait que d 'un coup bien placé pour que le jeune serveur reste à jamais entre ces quatre murs. Il vociféra au jeune hongrois de revenir immédiatement, amis ce dernier faisait la sourde oreille. Jon souffla alors sur la la flamme de sa chandelle. Seul Tobiás restait éclairé au milieu de la pièce, les ténèbres avaient englouti l'appartement, personne ne parlait. Un silence royal régnait. Á présent ils étaient deux à jouer le même jeux...
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(et après tant d'attente... la suite! : )
Chapitre 6 L'Inconnu
Il y eu un léger bruit de tissu froissé, puis un craquement fit sursauter Jon et une main apparu à la lumière diffuse d’une allumette, dans un coin de la pièce. La main alluma une bougie qui fit apparaître un visage au profil aquilin, donc le regard glacial était fixé sur Tobiàs. « Que faîtes-vous ici ? » lança-t-il froidement, avec une voix qui laissait transparaître une immense violence retenue. Jon bégaya une excuse en reculant vers la porte, mais Tobiàs refusa de se laisser intimider par une attitude aussi impérieuse de la part d’un homme qu’il n’avait jamais croisé auparavant dans l’hôtel, et réagissait comme un intrus. En effet, en cachant à leur entrée, il avait laissé transparaître qu’il n’avait probablement pas la conscience tranquille, contrairement à ce que laissait supposer son attitude soudain hautaine. Il s’avança vers l’homme, alluma avec flegme un grand chandelier placé sur le bureau, le dévisagea quelques instant puis lui demanda d’une voix ferme, mais calme : « qu’avez-vous de si terrible à vous reprocher pour vous cacher ainsi à l’entrée de deux simples serveurs ? ». L’homme, que cette attitude impassible avait déstabilisé, chancela, et dû s’asseoir dans le fauteuil non loin du bureau. On vit alors passer une grande lassitude sur son visage, qui laissa tout à coup transparaître une immense fatigue paraissant autant physique que morale. Jon, attendri, s'approcha et posa une main se voulant réconfortante sur son épaule. Tobiàs observa alors à la lumière du chandelier le corps décharné de l’homme, auquel il n’avait tout d’abord pas prêté attention. Il semblait si faible que Tobiàs eu soudainement peur qu'il ne se brise comme du cristal à la moindre secousse. Son dos voûté, et son corps étique, faisaient écho à ses lourdes cernes, et son regard éreinté. L'homme demanda alors d'une voix faible et résignée : « Je ne fais rien de mal, bien au contraire » puis il ajouta dans un murmure « enfin ce n'est malheureusement pas l'avis de tous.. ». Puis son regard s'alluma, et il lança, semblant s’éveiller de sa torpeur par un regain d'énergie : « Sortez de cette pièce je vous en conjure ! Oubliez son existence et n'en parlez à personne, et je vous jurerais que rien de ce que j'ai fait et ne ferait jamais ne va à l'encontre de la justice et de la bonté ». Tobiàs songeur, aux prises avec une réflexion intense mis quelque instants avant de s'exprimer d'une voix qui semblait désormais pleine de compassion. « Je vous propose un marché : jamais nous ne parlons de cette pièce ou de vous à quiconque, et nous vous apportons de la nourriture dont vous semblez manquer cruellement, tout cela, en échange d'explications sur votre situation ». L'homme soupira, se prit la tête dans les mains, puis relevant la tête il demanda : « pourquoi devrais-je vous faire confiance ? » mais pensif, il se rendit rapidement à l'évidence, et ajouta avant que les serveurs n'aient pu réagir : « Non je n'ai pas le choix, je dois me résigné à mettre mon sort à la merci de votre discrétion ». « Je vous préviens si vous comptez entendre toute l'histoire, cela risque de nous prendre un peu plus que quelques minutes ». Jon acquiesça puis proposa de commencer après un passage aux cuisines, au court duquel les deux serveurs seraient chargés de rapporter des restes du services du soir, qui étaient toujours destinés aux employés. Quelques escaliers montés à pas de loup plus tard, et devant une montagne d'assiettes de mets divers, l'homme commença son récit : [/spoiler]
Dernière édition par lou le Mer 31 Oct - 18:35, édité 38 fois | |
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